Nous étions trois sur un banc de parc ce midi, à profiter du soleil pendant notre pause. J’étais assise au centre de notre minuscule groupe qui comprenait en fait tous les employés de l’entreprise pour laquelle je travaille depuis un peu plus d’un mois, directeur compris. Tout à coup, j’ai presque hurlé :
– Une coccineeeeeelle !
Elle s’était posée sur ma jambe et je jubilais. Ceux qui me connaissent comprendront ma joie : la coccinelle est mon symbole du bonheur. Ceux qui ne me connaissent pas ont entretemps compris aussi.
J’en ai fait tout un plat. Mon boss et mon collègue ont ri. J’ai senti le « Elle est complètement tapée » mais je n’ai pas essayé de me calmer ni d’agir selon mon âge. Je suis exubérante et j’aime ça.
Le titre de cette entrée, je l’ai trouvé au mois de février, après avoir vu « The Greatest Showman » au cinéma. J’adore les comédies musicales, elles me rendent heureuses, tout simplement. J’en ressors revigorée sans en sortir réellement : je m’attends à ce que la foule qui se presse à la sortie de la salle se mette tout à coup à chanter, je m’imagine rejoindre une chorégraphie instinctive que nous quitterons tous une fois dehors, comme si c’était tout à fait normal, ces flashmobs improvisés, et qu’il était temps de marcher normalement pour récupérer sa voiture au parking. Dans chaque film, je me sens particulièrement concernée par au moins (au moins) une chanson. Dans ce cas-ci, c’était This Is Me. C’est symbolique, hein ; rien dans mon apparence physique ne m’oblige à m’affirmer en me frappant la poitrine au rythme des percussions. Il n’en reste que j’ai longtemps voulu être comme les autres et qu’il m’aura fallu 40 ans pour non seulement souligner ma différence mais aussi l’accepter. Oui, mes tendances à inverser la chronologie s’exprime aussi ici : j’ai réclamé mon droit à être unique tout en luttant contre le sentiment d’être anormale.
Je n’aurais pas réagi autrement en voyant ma copine la coccinelle il y a deux ans. J’ai relégué au grenier la honte d’être moi il y a longtemps, mais j’y avais par mégarde aussi jeté qui j’étais. Et puis, un jour, j’ai réalisé ; j’ai sorti les vieux cartons, brûlé ceux qui sentaient le moisi et dépoussiéré ceux que j’avais repoussés dans un coin.
Ce jour-là n’était pas réellement un jour. Il a duré des mois. Il a fallu que tous les barrages lâchent, il a fallu l’inondation, la destruction ; on appelle ça un burn-out. Ce n’est pas une dépression, mais un effondrement. Les fissures s’annoncent, le corps s’emballe dans un dernier élan de survie, le cœur bat à tout rompre, le souffle se coupe, la voix s’élève et puis, un jour, rien. Plus de force, plus d’énergie, plus de patience, plus d’envie. Le vide. Il faut alors attendre que le plein se fasse. Plus on a tenu à l’adrénaline, plus il faut de temps pour se reconstruire. Des mois avant de ne plus oublier en milieu de phrase de quoi on parlait, tout autant pour retrouver sa capacité de concentration et donc ses passions littéraires. Encore quelques mois avant de ne plus payer le prix après une activité physique qu’on qualifie d’intense alors qu’elle était normale un an plus tôt, comme celle de tondre la pelouse ou de faire une sortie au parc. On va mieux et on rechute ; on se sent mieux et puis, on est perdu. Une convalescence en dents de scie qui pousse au désespoir si on ne l’accepte pas. Et puis, ça y est, on a reconstruit mais le terrain reste défoncé (les maux de tête, l’estomac fragile) ; la nature finira par reprendre le dessus et la verdure par repousser. On le sait maintenant, on attendra.
Une année et demi merveilleusement difficile. Une année et demi qui me semble être passée en un claquement de doigt. Une année et demi avec une conviction (j’irai mieux un jour), un amour inconditionnel (ma tribu) et l’aide nécessaire (médecins et psy). Une année et demi que je ne récupèrerai pas mais qui n’est pas perdue ; j’ai beaucoup appris. J’en parle et je continuerai à le faire ; je n’ai pas honte. Mavi est ce qu’elle est et elle me plaît.