Les vagues s’écrasaient sur les falaises en dessinant des volutes improbables. J’étais perdue dans la contemplation de ces mouvements quand la voix de mon copain m’en sortit :
– Ça va ?
– Oui.
– T’es sûre ? Tu ne dis rien.
– Je regarde.
Je me souviens encore de mon petit sourire en coin pendant cet instant de pleine conscience. Je ne pouvais malheureusement pas m’en délecter.
– T’es sûre que ça va ?
– Mais ouiii.
J’essayais de retrouver ce sentiment de plénitude mais je sentais l’autre angoisser à mes côtés. Au bout de quelques minutes, j’ai abandonné et lancé :
– On y va !
– On peut rester si tu veux…
Mais c’était trop tard, la graine était plantée : cette relation n’allait pas durer.
Tous ceux et celles qui ont un jour mis fin à une relation peuvent mettre le doigt sur le moment précis où ils se sont dit que leur couple était voué à l’échec. Parfois, cela prend du temps, parce qu’on ne veut pas le voir, qu’on espère, qu’il y a tellement de choses à prendre en considération (bien commun, mariage, enfants) ou parce qu’on est persuadé de connaître l’autre comme personne et que l’image que notre entourage nous renvoie n’est pas celle que l’on s’est faite (avouez, elle vous est familière la phrase « mais tu ne le connais pas comme je le connais »). Certaines personnes ont tellement peur d’être seules qu’elles n’admettent pas que la dynamique est toxique. D’autres… je ne sais pas… mais moi, je préfère de loin attendre le bon dans la solitude que de passer le temps avec celui qui ne me convient pas.
Je vous vois tous venir avec vos petites sandales, vos gros sabots ou vos bottines fourrées : « Tu es exigeante ». J’ai 41 ans, je n’ai plus peur d’être honnête parce que je désespère de faire partie de la bande, je peux donc être d’accord avec vous et ne pas en avoir honte. D’autant plus que cet exigence pseudo-péjorative est à mes yeux tout autre chose : le respect de moi-même. Je recherche une relation intellectuelle, affective, un véritable échange de valeurs en plus de la chimie et du physique. Je refuse de brader parce qu’il serait vraiment temps que je trouve quelqu’un avec qui partager ma vie. Pourtant, je l’ai presque fait… Pas longtemps, juste assez pour ne plus oublier.
J’ai su au bout de 15 jours que nos personnalités n’étaient pas compatibles. J’ai tenté de me raisonner, j’ai fait preuve de maturité et j’ai communiqué ; je me suis dit que c’était ça peut-être finalement une relation à notre âge, avec le bagage qu’on a. Peut-être qu’une relation qui dure, c’est une relation où l’autre nous irrite jusqu’à ce qu’on s’habitue à ses petits tics qu’on prend pour des travers ? Il avait quand même des qualités que je n’avais trouvées chez aucun de mes ex; pour le reste, je pouvais peut-être faire preuve de tolérance et de patience. Dès que j’étais seule, je repensais à tous les signaux d’alarme que j’avais vus et j’étais prise de panique. Je me sentais étouffée par cette relation dans un sens si littéral que la crise d’angoisse clinique ne faisait aucun doute. Lorsque j’ai essayé d’expliquer ce sentiment si confus, il avait conclu « Je sais ce que tu as : tu es morte de trouille à l’idée de te faire briser le cœur ! »
Il était si fière d’avoir tout compris… il avait tellement tort. J’ai légèrement grogné : « Alors là, pas du tout. Ça ne me fait pas peur, j’ai l’habitude. »
Et oui, je sais, c’est horrible. Cela voudrait dire qu’on m’a fait tellement de mal que je suis devenue insensible. Croyez-vous. Je ne le vois pas tout à fait comme ça : oui, il y a du « tu peux taper, je travaille les muscles du cœur depuis des années », mais il y aussi du « je n’ai jamais perdu espoir ». Si on m’a brisé le cœur si souvent, c’est parce que j’ai aimé. Pas qu’une fois et pas un peu. Assez pour me ramasser solidement, mais aussi assez pour savoir que je survivrai.
Donc, oui, cette dernière courte relation a été anxiogène parce que je suis une maman solo (il n’y a pas de papa, si vous ne le saviez pas) et que j’ai dû passer au-dessus de la culpabilité d’obliger ma fille à partager sa mère. Oui, j’ai évidemment appris des choses. Oui, oui.
Mais j’ai aussi failli ne pas m’écouter et c’est un autre souvenir qui m’a rappelée à l’ordre il y a 3 jours.
Il y a près de 10 ans, ma collègue qui avait un copain depuis moins d’un mois, me racontait une énième dispute. Je l’aimais bien, cette collègue, et je sentais que par conséquent mon regard était empli de peine. Elle avait besoin de validation :
– C’est normal, non, le premier mois ? C’est comme ça chez tout le monde. On fait connaissance. Non ?
Je n’ai pas osé dire ce que je pensais réellement, je ne pouvais pas être si crue, lui faire si mal : « non, ce n’est pas normal, pas le premier mois ; le premier mois, tu es censée être sur un nuage, pas te disputer tous les deux jours. » Je la savais fragile et j’ai donc été lâche et ai joué la carte de l’ignorance « Je ne sais pas, je ne me disputais jamais avec mes ex… tu vois où ça m’a menée. »
Ce souvenir m’a fait repenser à toutes les fois où je n’avais pas dit ce que je pensais réellement de l’homme avec qui une amie ou l’autre était, de peur de me tromper, de peur de les perdre et les fois où elles avaient fait de même.
L’étau s’est à nouveau serré autour de ma gorge en m’avouant ce que je ne leur racontais pas et la raison de mon silence. J’avais peur qu’elles n’oublient pas ce détail que je jugeais ignoble/ horrible/ dégoûtant et qu’elles y penseraient quand elles le verraient.
Et vint enfin la clarté : moi non plus, je n’oublierai pas. Jamais. Si une femme m’avait raconté tout ce que j’énumérais depuis 15 jours, celle que je suis aujourd’hui, celle qui n’a plus peur de perdre des amies, lui aurait demandé « Mais pourquoi tu restes avec lui ? » J’ai donc décidé d’être la meilleure amie qui n’a pas peur de ma réaction et je me suis enfin écoutée. Une fois que j’ai admis que mes peurs n’étaient pas dues à l’idée de rater une véritable opportunité mais à l’idée d’accepter une relation qui n’est pas à la hauteur de mes exigences (personnelles et donc valables, ne l’oubliez jamais, mesdames, quoi que l’on vous dise), j’ai pu respirer à nouveau.
Je suis donc toujours célibataire et je me sens bien. Je n’ai jamais eu l’intention de rester seule, je n’ai pas fait vœu de célibat, mais je me suis promis de ne pas être avec quelqu’un juste pour le fait. Ma fille est la preuve ultime de mon refus radical d’avoir pour compagnon un « second choix ». Je n’ai pas envie qu’on se satisfasse de moi faute de mieux ; je ne l’imposerai pas à un autre.
Il viendra et je ne me disputerai pas le premier mois, je me sentirai légère et j’aurai envie de toujours être avec lui. Je serai amoureuse, je le sais. En attendant, je reste seule et c’est très bien.
Ça faisait un moment que je ne t’avais pas lue et là je viens et bim, c’est comme si j’avais passé une soirée avec toi, où on aurait échangé ressentis, émotions, pensées et ce que nous sommes. Je suis contente que tu sois seule du coup, je trouve ton raisonnement très sain. Merci pour ce partage, t’embrasse.
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Je te garde la version standup au chaud pour quand on se verra 😄 Je t’embrasse fort, guapetona
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